Joseph Fouché Biographies comparées
<<<<<<<<<<<<<<<<<<< La biographie à travers Joseph Fouché >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>
Stefan Zweig André Castelot Jean Tulard
Il était tentant de comparer la biographie que des hommes aussi différents que Stefan Zweig, André Castelot et Jean Tulard ont consacré à la vie de Joseph Fouché, à ses tribulations dans tous les régimes qui ont marqué la France entre 1793 et 1815... et même au-delà. Leurs motivations tiennent sans doute à la curiosité qu'ils ont éprouvé envers un homme qui semble une énigme, revenant toujours au premier plan dans un monde bouleversé, espèce de Phénix politique apparaissant même après tout ce temps comme une espèce de Machiavel moderne, mais qu'en est-il en fait de leur approche de l'homme et de leur démarche historique ?
L'approche historique, même si elle s'efforce d'être un exercice d'objectivité, est toujours sujette à la vision de l'auteur, même si sa tâche est facilitée par l'importance des sources disponibles. Encore faut-il que ces sources soient dignes de foi, que leur crédibilité soit réelle, certifiée par les recoupements que doit nécessairement effectuer l'auteur. On peut à cet égard se reporter à l'ouvrage de Jean Tulard intitulé "Jeanne d'Arc, Napoléon, le paradoxe du biographe". [1]
On rencontre ici aussi cette difficulté que Louis Madelin avait déjà mentionnée dans la première grande biographie qu'il écrivit sur Joseph Fouché. Il écarta volontairement les Mémoires de Joseph Fouché, non qu'il les jugeât apocryphes peut-être ou sans grand intérêt historique, mais en tout cas pas assez dignes de foi pour pouvoir s'y référer avec un minimum de confiance. Telle n'est pas l'approche d'André Castelot qui considère que ces Mémoires contiennent des indications précieuses, des précisions ou des anecdotes intéressantes dont on ne saurait se passer mais qu'il faut malgré tout manier avec précaution.
Approche pragmatique donc, qui n'empêche pas une démarche critique qui permet de rejeter telle ou telle information jugée par trop sujette à caution, le propre d'un auteur de Mémoire étant d'être juge et partie, qui tente parfois de se donner le beau rôle et éventuellement de se dédouaner face à ses contemporains... ou à la postérité. Approche sélective aussi qui permet d'éviter les passages ou les chapitres par trop hagiographiques, qui s'écartent trop ou contredisent d'autres sources jugées plus fiables.
Telle est toute la difficulté d'un travail de biographe sur la matière historique, d'autant plus quand il s'agit d'auteurs comme ici venant d'horizons très différents. L'écrivain Stefan Zweig l'aborde en romancier, laissant parler son cœur, enthousiaste quand il lui trouve une certaine forme de génie politique ou de courage quand il tient tête à Napoléon, très réticent face au "mitrailleur de Lyon", quand Fouché n'hésite pas à trahir ou qu'il a "du sang sur les mains".
Joseph Fouché par Claude-Marie Dubufe, château de Versailles.
L'approche différente des deux historiens que sont André Castelot et Jean Tulard tient à leur parcours personnel, l'idée qu'ils se font de leur rôle d'historien et de la démarche qu'ils ont adoptée. André Castelot est autant intéressé par l'aspect historique que par les anecdotes, les notations qui égayent le propos, qui illustrent une matière qui peut paraître aride à des non spécialistes ou des béotiens, et qui tient à faire œuvre de vulgarisation. Jean Tulard, spécialiste de cette période et en particulier du Premier Empire, est plus porté à aller à l'essentiel sans s'étendre sur tel ou tel aspect anecdotique, à la présentation rigoureuse et à l'analyse des contextes et des situations historiques.
Si l'ouvrage de Stefan Zweig est assez ancien -il paraît en Allemagne en 1929 et en France l'année suivante-, ceux d'André Castelot et de Jean Tulard sont contemporains, parus respectivement en 1990 1998. Jean Tulard est dans son élément, écrivant son livre entre un "Napoléon : le pouvoir, la nation, la légende" et un "Le 18-Brumaire. Comment terminer une révolution ? André Castelot apparaît comme plus éclectique entre un "Charles X : La Fin d’un monde", un "Madame du Barry et un livre sur "La campagne de Russie 1812". [2]
Ainsi en est-il aussi de la conception de l'histoire à travers le temps, la vision d'un Jules Michelet ou même de tout autre historien du XIXème siècle, n'a que peu en commun avec celle d'historiens du siècle suivant de l'École des Annales comme Lucien Febvre ou Emmanuel le Roy Ladurie, plus préoccupés par une histoire à dimension sociologique que du destin des grands hommes.
Si les deux historiens ont beaucoup écrit sur Bonaparte-Napoléon, on compte 7 ouvrages pour André Castelot, surtout à ses débuts entre 1959 et 1968 contre 15 pour Jean Tulard dont le dernier intitulé "Napoléon chef de guerre " en 2012, ils ont aussi été fascinés par "l'alter ego" de Joseph Fouché, ce personnage aussi hors du commun qu'était le prince de Talleyrand-Périgord auquel ils ont consacré chacun un ouvrage intitulé "Talleyrand ou le Cynisme" pour Castelot et "Talleyrand ou la douceur de vivre" pour Tulard. [3]
Joseph Fouché, miniature sur ivoire, Jean-Baptiste Sambat
Pour écrire cette biographie de Joseph Fouché, Stefan Zweig s'est beaucoup référé à l'ouvrage de base de Louis Madelin qu'il qualifiait avec respect de «monumental ». Il est vrai que Joseph Fouché a toujours intéressé, voir fasciné les historiens et les écrivains pour être passé sans encombres dans les arcanes d'une période parmi les plus troublées de l'histoire européenne. Stefan Zweig a été séduit par cet homme si atypique, la carapace de l'homme public, son calme marmoréen face à Napoléon Ier, sa capacité à "rebondir" en professionnel de la politique, ce contraste avec l'homme privé assez débonnaire et aimant sa famille.
- Stefan Zweig, Fouché, biographie, traduit de l'Allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac, Édition française Bernard Grasset, Le Livre de Poche historique n°525-526, 1973
- Voir l'article détaillé : Joseph Fouché (Zweig).
André Castelot connaît très bien cette période à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages, en particulier sur les hommes de pouvoir d'alors. Pour décrire le parcours de Joseph Fouché, il a opté pour l'exploitation des Mémoires de Fouché ainsi que de documents restés inédits des Archives nationales et de celles des Affaires étrangères, ce qui donne un éclairage différent, sinon nouveau, à son approche, permettant comme l'a écrit un critique de « renouveler la connaissance de Joseph Fouché. »
De plus, il a eu la chance d'avoir accès à la documentation que son ami Alain Decaux a mis à sa disposition et que, faute de temps, il n'avait pas pu exploiter.
- André Castelot Fouché, le double jeu, Perrin. 1990
- Voir l'article détaillé : Fouché, le double jeu.
Jean Tulard, historien spécialiste de cette période, membre de l'Institut et directeur de l'institut Napoléon, brosse le tableau des ces moments historiques sans précédents et nous donne sa vision des relations entre Fouché et Bonaparte et surtout la confrontation entre Fouché et Napoléon. Mais plutôt qu'à l'homme, Jean Tulard s'attache d'abord à l'évolution politique et surtout l'histoire de la police depuis La Convention jusqu'aux Cent-Jours.
- Jean Tulard, Joseph Fouché, Fayard. 1998
- Voir l'article détaillé : Joseph Fouché (Tulard).
Notes et références
[1] Voir aussi un autre ouvrage de Jean Tulard intitulé "Le métier d'historien" paru en 1991
[2] Citons entre autres "Bonaparte" en 1967 ou "Napoléon" en 1968 pour André Castelot " et pour Jean Tulard "L'Anti-Napoléon, la légende noire de l'Empereur" en 1964, "Le Mythe de Napoléon" en 1971, " Napoléon : le pouvoir, la nation, la légende" en 1997 ou "La Berline de Napoléon" en 2012
[3] Jean Tulard a aussi publié les "Mémoires de Talleyrand" présentés et annotés par ses soins
<><><> CJB Frachet - Joseph Fouché - Feyzin - 07/02/2014 - <><> •• © • cjb • © •• <><><>