Des Gaulois aux Français Kahn/Todd
Du temps des gaulois
Jean-François Kahn, le journaliste et polémiste bien connu, se mue ici en historien, se projette aux temps de nos ancêtres les gaulois. Historien amateur faut-il préciser, qui n'hésite pas à manier l'anachronisme avec dextérité et humour.
Avec toujours la même verve, le même humour et une érudition intacts, il nous entraîne loin dans notre histoire, de 600 av. J.-C. à 500 de notre ère, dans la Gaule celte et la Gaule romaine, entrechoquant les époques, prolongeant la balade vers Néandertal et Cro-Magnon. C'est le gaulois Vindex qui sert de guide, une espèce de bourgeois romanisé qui n'hésite pas lors d'une assemblée à Lyon, à stigmatiser les errances de l'empereur Néron, même s'il devra payer cher son impertinence.
Mais ces Gaulois seront aussi vaillants pour combattre l'envahisseur romain que fidèles lorsqu'ils se seront ralliés et se feront les champions de la romanité, faisant allégeance à sa puissance et évitant ainsi de tomber sous le joug des envahisseurs Germains. A travers le parcours de « nos ancêtres les Gaulois, » Il aborde des questions plus ouvertes comme la pratique de sacrifices humains ou la récupération du mythe gaulois, et nous fais assister à la première grande transformation urbaine... en attendant l'arrivée de l'automobile, des zones d'activités ou que pointent les multinationales.
Jean-François Kahn
La Gaule avant la conquête romaine
Le territoire entre le Rhin, les Pyrénées et le Rhin, [1] que César appelle Gaules dans son célèbre ouvrage sur La guerre des Gaules se compose d'une mosaïque d'une soixantaine de pays jaloux de leur autonomie et sans véritable unité, un territoire assez peuplé pour l'époque et riche en ressources agricoles et minières. [2] La conquête romaine lui permit d'acquérir les premiers éléments d'unité mais l'ensemble, malgré l'imagerie véhiculée Astérix le Gaulois, n'a rien de contrées sauvages, plus vouées aux épaisses forêts qu'aux villages sédentaires tournés vers l'agriculture.
Le cratère de Vix
La découverte en 1953 dans le village de Vix en Bourgogne de la tombe d'une princesse celte morte vers 480 avant JC l'atteste. [3] Ces celtes qui deviendront les gaulois, avaient noué des liens commerciaux nombreux avec les peuplades méditerranéennes. Avant la conquête césarienne, les Romains se sont déjà fixés dans les régions méditerranéennes, en particulier dans la Gaule Narbonnaise, dominée par Narbonne puis par Lugdunum (Lyon), première Province de Rome, qui deviendra ensuite Provence.
Le "reste" du pays est appelé la «Gaule chevelue» à cause de ses immenses forêts et ces contrées gauloises (les «pagus») sont influencées par leurs proximités géographiques, sensibles selon le cas à l'Italie, à la Germanie, à l'Espagne ou même à la Grèce). Si on y trouve surtout des clans et des chefferies héréditaires, certaines incluent quelques formes de gouvernement démocratique.
Vercingétorix Pièce à son effigie Denier J. césar, victoire sur les Gaulois
Les dieux gaulois
Même s'il en reste peu de traces, on peut repérer dans leur panthéon quatre divinités que sont Esus, le dieu forestier, Teutatès le dieu de la tribu, [4] Taranis le maître du ciel ainsi que Cernunnos le maître du bétail et de la faune sauvage. Leur culte est célébré dans des sanctuaires, temples sans doute issus du modèle grec. Ils utilisent surtout l'incinération, avec inhumation de l’urne funéraire, la mort n'étant pour eux qu'une étape dans le processus de réincarnations multiples pour pouvoir s'établir à son terme dans une demeure céleste. Seuls les guerriers morts au combat sont inhumés où ils ont péri et montent directement au ciel.
Esus Taranis ... avec son attribut, la roue
Les gaulois dans l'histoire de France
L'abbé Joseph Sieyès, qui jouera son rôle dans la Révolution française, publie en janvier 1989 un texte intitulé Qu'est-ce que le tiers état ? dans lequel il présente ces gaulois romanisés qu'on appellera les Gallo-Romains comme les ancêtres du peuple ou tiers état, les Francs symbolisant l'ordre aristocratique, remontant dans le temps avant Clovis et faisant de cette population nos fameux ancêtres. Cette conception sera reprise par Napoléon III qui publiera avec l'historien Victor Duruy une biographie de Jules César où apparaît le mythe de Vercingétorix. [5] Le "bon gaulois" est ainsi tantôt un ensemble de peuplades turbulentes qui s'opposent aux Romains et tantôt des gens pacifiques à qui les Romains ont apportés leur civilisation.
Le mystère français
Emmanuel Todd : « La France est un pays divisé contre lui-même » La Croix, 27 mars 2013
Déjà il y a trente ans, Hervé Le Bras et Emmanuel Todd avait publié un ouvrage sur la population française, ses structures et son comportement, intitulé L'Invention de la France (Gallimard, 1981), ouvrage fort documenté écrit à partir de données démographiques et socio-économiques. Dans leur dernier livre, agrémenté de nombreuses cartes en couleur, ils font un constat étonnant :
Au terme d'un brillant exercice de style, 300 pages d'analyses étayées par cent vingt cartes de France en couleur, ils nous livrent leur surprise de découvrir une remontée du vieux fonds anthropologique. «Les recensements les plus récents continuent d'enregistrer l'opposition entre une France de la famille nucléaire et une France de la famille complexe. » [6] Les particularismes anthropologiques des Bretons, Occitans, Provençaux, Picards... sont ainsi toujours aussi vivaces. Les évolutions les plus marquantes sont la démocratisation de l'enseignement, [7] la santé avec un taux de mortalité infantile de seulement 3,4 pour mille en 2011, le niveau des suicides et de la criminalité ayant tendance à diminuer. [8]
Les auteurs notent la rémanence du religieux dans les comportements, malgré une "déchristianisation" qui se poursuit, y compris dans les régions où il a longtemps été le mieux ancré comme la Bretagne, le pays basque ou l'Alsace [9] et une grande indifférence au mariage. Sur le plan politique par contre, ils observent un phénomène de bascule entre des régions "périphériques" traditionalistes et agricoles comme la Bretagne, l'Ouest intérieur, le Pays basque ou le Sud-Est du Massif central qui votent de plus en plus à gauche, et des régions "centrales", industrielles et volontiers athées qui ont tendance à se rallier à la droite e même à l'extrême droite. Effets sans doute de la désindustrialisation et du déclin du monde ouvrier.
Nantua, au bord du lac Figeac, centre historique
Les usines ne résistent plus guère maintenant que dans les régions très industrielles de l'Est et du Nord ou dans des bassins ancrés dans une tradition ancienne comme Sallanches, Nantua ou Figeac. [10] Les conséquences de cette redistribution des cartes, c'est d'abord la dispersion des classes populaires loin des centres urbains, exit de ces faubourgs pourvus d'une sociabilité autonome. Le travail spécialisé est de plus en plus délocalisé vers les pays à bas salaires et les emplois plus qualifiés s'implantent plutôt dans la sphère germanique; ailleurs, le post-industriel se réalise alors au détriment des implantations industrielles. Ceux qui s'en sortent encore le mieux, ce sont les régions "périphériques" organisées autour des solidarités familiale et de voisinage, constituées d'artisans, de commerçants et de travailleurs indépendants, celles qu'on rangeait plutôt dans les perdants de la croissance au temps des "trente glorieuses".
Emmanuel Todd et Hervé Le Bras
Sources et références :Jean-François Kahn, L'invention des Français, Du temps de nos folies gauloises, éditions Fayard, 588 pages, 2013
Hervé Le Bras, Emmanuel Todd, éditions Le Seuil, collection La République des idées, 320 pages, 2013
Notes et références
[1] Comprenant actuellement la France, le Bénélux, la Suisse et la Rhénanie
[2] Voilà ce qu'écrit César sur cette diversité dans La guerre des Gaules : «La Gaule, dans son ensemble, est divisée en trois parties, dont l'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui dans leur propre langue, se nomment Celtes, et, dans la nôtre, Gaulois. Tous ces peuples diffèrent entre eux par la langue, les coutumes, les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par le cours de la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les plus braves de tous ces peuples sont les Belges, parce qu'ils sont les plus éloignés de la civilisation et des mœurs raffinées de la Province, parce que les marchands vont très rarement chez eux et n'y importent pas ce qui est propre à amollir les cœurs, parce qu'ils sont les plus voisins des Germains qui habitent au-delà du Rhin et avec qui ils sont continuellement en guerre. »
[3] Son trésor funéraire comprend notamment un cratère (ou vase) en bronze de 1,64 mètre, originaire de l'Italie du Sud
[4] c'est le Toutatis d’Obélix
[5] Napoléon III se fera représenter sous ses traits à Alise-Sainte-Reine en ôte-d'or, l'un des deux endroits supposé de la bataille d'Alésia
[6] Ces dernières se situent dans des régions où la proportion de ménages avec plus d'un couple est supérieure à la moyenne nationale. Ils notent aussi que la famille nucléaire se trouve surtout dans un habitat groupé avec des villages groupés autour d'un clocher.
[7] 65% de bacheliers, toutes séries confondues, dans chaque classe d'âge de la génération la plus récente
[8] Le taux de suicide est tombé à 16,8 pour 100.000 habitants, idem pour le niveau de criminalité, passé de 1119 homicides en 2002 à 682 en 2009
[9] De façon symptomatique, ce sont les départements comptant le plus de curés ayant prêté serment à la Constitution civile du clergé pendant la Révolution qui ont été le plus tôt déchristianisés.
[10] « Les rares endroits où la proportion de travailleurs dans l'industrie dépasse 30% sont situés à l'écart, sur les frontières des départements ou à la frontière nord-est, filant de Genève aux Ardennes » notent-ils.
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