Le goût de l'émeute Anne Steiner
Présentation : Anne Steiner est maître de conférence en sociologie à la fac de Paris-Nanterre, spécialiste des mouvements de lutte armée dans les années soixante dix ( voir Guérilla urbaine en Europe occidentale, éditions L'Echappée, 2006) et sur la mouvance individualiste anarchiste. (voir Les En-dehors, anarchistes à la Belle époque, éditions L'Echappée, 2008)
Manifestation et violences de rue dans Paris et sa banlieue à la "Belle époque"
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"La période 1905-1911 a tout d'une révolution qui se déroule sur une longue période mais qui n'aboutit pas." Anne Steiner
La période étudiée est assez courte mais riche en événements sociaux qui surprennent tant ils sont différents de ce qu'ils sont devenus dans les années 2000. Entre 1905 et 1911, on dénombre pas moins de vingt conflits sociaux importants dont certains ont marqué pour longtemps les relations sociales entre les ouvriers, les patrons et les pouvoirs publics. Même si la gauche parlementaire a occupé le pouvoir pendant la période étudiée, il existait alors un fort courant de syndicalisme révolutionnaire qui croyait que le pouvoir pouvait se gagner dans la rue. Cette conception prenait largement racine dans les révolutions qui ont émaillées tout le XIXème siècle et qui ont abouti au pouvoir des Conventionnels en 1792-93, à l'abdication des Bourbons en 1830, à celle des Orléans en 1848. Même après l'échec de la Commune de Paris en 1871, la tentation est grande de partir de revendications catégorielles pour passer à des revendications plus politiques. La condition salariale de cette époque, en général dure et misérable, la toute puissance et l'arbitraire de patrons autoritaires expliquent aussi largement la pugnacité des mouvements de grève relayée par une répression impitoyable de la police et parfois de l'armée appelée à la rescousse.
A travers quelques exemples emblématiques, on entre à plein dans la violence des manifestations, la dureté des grèves dégénérant parfois en véritables émeutes, subites explosions de colère du peuple parisien sur leur misérables conditions, le sort qui leur est fait et la répressions qu'ils subissent souvent. On suit par exemple la longue lutte des terrassiers des sablières de Davreil en 1908, trimant des douze heures par jour et sept jours sur sept. Puis ce sera la "jacquerie" des ouvriers et ouvrières de l’industrie du bouton à Méru qui entonnent la chanson « Gloire au 17e » [1] face aux soldats, n'hésitent pas à s'attaquer et à mettre à sac quelques belles demeures appartenant aux patrons les plus haïs.
D'autres fois, le mouvement est plus politique lorsqu'on se rassemble pour manifester après l’exécution de l'enseignant libertaire espagnol Francisco Ferrer, du 26 juillet au 2 août 1909, l'Espagne connaît une vague de soulèvements pour protester contre la conscription qui sert à engager la guerre du Rif et le comportement du clergé, suivie d'une féroce répression. Le régime trouve alors un bouc-émissaire en la personne de Francesco Ferrer et procède à son exécution le 13 octobre 1909. Ce véritable meurtre politique donnera lieu à de grandes manifestations tournant à l'émeute. Les socialistes organiseront une nouvelle manifestation le 17 octobre, qu'ils veulent pacifiste, bien encadrée et sera la première manifestation autorisée de l’histoire sociale française, comme on en connaîtra bien des années plus tard.
On trouve le même schéma d'une manifestation violente et durement réprimée après l'exécution d'un jeune ouvrier nommé Liabeuf. [2] Les péripéties en sont relatées avec flamme par des périodiques comme La Guerre Sociale qui prolongent l'événement et renvoient l'écho de ce genre de conflits sociaux et de manifestations.
En juin 1910, l’anarchiste Henri Cler est tabassé, frappé à mort par un policier devant le quartier général des ébénistes en grève du faubourg Saint-Antoine, cette même année, en juillet où est exécuté le jeune cordonnier Liabeuf.
Notes et références
[1] Cette chanson signée Montéhus, rappelle le refus d'obéissance de deux régiments d'infanterie face à des viticulteurs en juin 1907 qui désobéissent à leurs officiers et mettent l’arme au pied. Elle pouvait valoir à ceux qui l’entonnaient une inculpation pour incitation des soldats à la désobéissance.
[2] Condamné à tort pour proxénétisme, le cordonnier Liabeuf se venge en attaquant des policiers. Son procès et son exécution dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 1910, déclenchent une immense vague de manifestations qui sont autant d'affrontements avec la police.
<<<<< Christian Broussas, Carnon-Mauguio, Octobre 2013 © • cjb • © >>>>>